vendredi 26 mai 2017

Pleurer de joie… l'alarme à l'œil


Je me souviens d'une période de ma vie où, lorsque je regardais un film "émotionnel", j'étais ému jusqu'aux larmes.

Ça ne se fait pas, dans notre culture. Lorsqu'on occupe un corps mâle, on est supposé faire preuve d'une insensibilité socialement correcte. La femme pleure, cette tendre fragilité lui sied à ravir. L'homme, lui, est censé cantonner ses débordements émotionnels dans la bande agressive, celle du chasseur frustré dont le javelot en silex a rebondi sur l'épaisse toison du mammouth.

Qu'importe, en ce temps-là, certaines scènes ou idées particulièrement positives provoquaient chez moi cette réaction dévolue au chagrin, à la perte d'un être cher.

Cette étiquette du comportement homme/femme n'est pas vraie dans toutes les cultures. Il y a longtemps, j'avais écouté une émission de radio où un médecin expliquait pourquoi certaines statistiques montraient que les indiens Lakota était une des ethnies les moins touchées par le cancer. Il reliait cette particularité statistique au fait que dans la culture sioux, qu'on soit homme ou femme, on faisait grand étalage de ses émotions : tristesse, colère ou joie.

Ceux qui connaissent le film Danse avec les loups se souviennent peut-être de la scène finale où Cheveux-au-vent crie son amitié au lieutenant John J. Dunbar, depuis un promontoire rocheux, sa voix résonnant dans la vallée, sans la moindre retenue.

Avant d'être passés dans le broyeur éducationnel, les enfants se comportent naturellement de cette façon. Ils pleurent, crient, s'énervent, chantent, rient, expriment ouvertement ce qu'ils ressentent.

Et puis, à force de "tais-toi", "arrête de pleurer" et autres "calme-toi", ils apprennent à se comporter en adulte, c'est-à-dire à réprimer, refouler, étouffer leurs sentiments. Un dressage d'autant plus facile aujourd'hui que s'ils refusent de rentrer dans le moule à morts-vivants, ils risquent d'être diagnostiqués "hyperactifs", pour le plus grand bénéfice de l'industrie pharmaceutique.

D'ailleurs, si la libre expression des émotions possède une valeur thérapeutique dans la prévention de maladies telles que le cancer, que dire de ces "remèdes" bloqueurs d'émotions ? Peut-on estimer qu'ils sont, à un degré plus ou moindre, iatrogènes ?

Faites une recherche en tapant ces deux mots, séparés par un espace, dans la barre d'un moteur de recherche : guérir rire. Vous y trouverez des témoignages de personnes qui ont guéri d'une maladie grave au moyen de ce processus thérapeutique naturel.

Cette tendance aux "larmes de joie" m'a passé. Elle a disparu après un travail personnel qui annula toute une série d'informations fausses, infligées par d'autres personnes : dévalorisations, jugements erronés, injustices, dénigrements divers que j'avais acceptées par manque de vigilance ou de combativité.

Récemment, alors que nous déambulions en famille dans un festival, nous eûmes le coup de foudre pour le travail d'une artiste aussi talentueuse que sympathique. Nous commençâmes par lui acheter une magnifique pièce, tout en la félicitant chaleureusement, si bien qu'elle se retrouva au bord des larmes, émue et gênée, s'excusant de sa réaction. Un peu plus tard, comme il y avait d'autres pièces tout aussi belles, nous revînmes lui acheter deux créations supplémentaires qui allaient bien avec la première. Cette fois-ci, la jeune femme fondit en larmes, vraiment bouleversée.

Connaissant le phénomène pour l'avoir constaté tant sur moi-même que sur d'autres, j'avais relevé, tout en parlant avec cette artiste, une réflexion qu'elle avait faite : certaines personnes de son entourage ne croyaient pas en la valeur de son travail.

La morale de cette histoire, et j'ai pu observer ce mécanisme à l'œuvre des centaines de fois, c'est qu'on ne pleure pas "de joie". Ce qui se passe, en réalité, c'est que des informations/actions positives font regagner à une personne ce qu'elle a perdu dans le passé, ce qui provoque une décharge émotionnelle du chagrin contenu dans ces bouleversements antérieurs. Ces moments de perte peuvent concerner un être aimé qui nous revient, mais souvent, il s'agit de la perte de quelque chose de plus profond : confiance en soi, fierté personnelle, sentiment de sa propre valeur, etc.

Prenez une personne qui a été dévalorisée, dénigrée, rabaissée par d'autres, ou par elle-même après qu'elle a accepté le jugement d'autres. Et dites-lui à quel point elle vaut bien mieux que ce qu'elle croit, qu'elle est quelqu'un d'exceptionnel, de vraiment valable. Vous n'avez pas besoin de mentir, focalisez-vous sur cette part d'elle-même qui a été étouffée et brisée à force de critiques et d'échecs. Cela nécessite un coup d'œil particulier pour discerner la grandeur ou la beauté qui sommeille chez la plupart des gens, mais elles sont forcément présentes, plus ou moins enfouies.

Observez les réactions émotionnelles chez cette personne, ce seront souvent des "larmes de joie". Chez les dur(e)s à cuire, vous n'obtiendrez peut-être qu'une rougeur au bord des paupières, mais les signes d'une bouffée de chagrin seront présents.

Quoi qu'il en soit, c'est une bonne chose. C'est le signe que la personne est vivante, pas trop anesthésiée et plutôt naturelle, pas retranchée derrière la carapace d'une personnalité artificielle. Mais c'est aussi l'indice que des surcharges émotionnelles passées doivent être soulagées, et qu'il lui faudra retrouver certaines vérités qu'elle a perdues.

3 commentaires:

  1. Moralité : on ne pleure jamais que sur soi...
    Merci pour ce petit texte.

    Arthex ;)

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  2. Très belle analyse ... qui remet "les choses en place" ... En tous cas m'a apporté un compréhension plus importante de mon fonctionnement personnel ! Merci !

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  3. Tout à fait vrai. En lisant un paragraphe, j'ai eu les larmes aux yeux. Merci pour l'explication !

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